Pour une filière karité durable : parole à deux experts engagés

9 juin 2021
6 min

Nous avons interviewé M. Urbain Gbeou, directeur de projet à l’Alliance Globale du Karité au Bénin et Mme Humbert, du service Biodiversité & Filières Durables et en charge du beurre de Karité au sein des Laboratoires M&L (L’OCCITANE en Provence), deux structures spécialisées dans la filière karité.

Cette année en particulier, face aux contextes sanitaires, sécuritaires et climatiques, quels sont les défis que doivent relever les organisations de producteur·ice·s ouest-africaines positionnées sur la filière karité ? Quels sont les impacts du Covid-19 ?

Urbain GBEOU : Le karité, particulièrement présent en Afrique de l’Ouest, a un rôle essentiel dans la vie des communautés de cette région, tant au niveau social, culturel qu’économique. Il est l’une des seules ressources auxquelles les femmes ont droit d’accès, ce qui leur permet d’accéder à un revenu et d’avoir un statut social reconnu au sein de leur communauté.

Seulement, les changements climatiques et la croissance démographique sont des pressions pesant fortement sur la ressource, visibles par la dégradation croissante des parcs à karité. De plus, les productrices de karité, parce qu’elles travaillent de façon isolée, dépendent de ceux qui leur achètent le produit. Ces quelques gros acheteurs fixent le prix du karité et le bénéfice le plus important est réalisé à 90% à l’extérieur du continent. Cette filière devient de plus en plus rémunératrice, car le prix du karité est passé de 40 FCFA à 200 FCFA entre 2005 et aujourd’hui, ce qui explique la tendance à l’accaparement des hommes pour ce produit.

Justine HUMBERT : Les productrices de beurre de Karité doivent faire face à différents enjeux :

  • La menace qui pèse sur cette ressource naturelle comme l’a expliqué M. GBEOU,
  • Un procédé de transformation traditionnel affaibli par la concurrence industrielle mais aussi par ce travail qui n’attire pas les jeunes générations et qui a des impacts environnementaux notamment dû à l’utilisation de bois,
  • Et des enjeux conjoncturels avec cette crise du COVID-19 qui a déstabilisé la demande internationale.

De notre côté, nous promouvons un beurre de Karité biologique transformé par les femmes pour une valeur ajoutée maximisée pour ces coopératives. Il est important d’accompagner ces coopératives à la protection et à la régénération de leur ressource de karité et à une transition de leur procédé de transformation traditionnel vers une mécanisation verte qui permet d’améliorer les conditions de travail, limiter les impacts environnementaux mais aussi la qualité et la traçabilité du beurre tout en préservant leur maitrise de la production et leurs revenus.

Quelle vision porte votre organisme de la filière karité et comment accompagnez-vous les organisations de producteur-ice-s face à ces enjeux ?

Urbain GBEOU : L’Alliance Globale du Karité représente l’intérêt de l’industrie du karité dans le monde et, forte de ses membres appartenant aux différentes chaînes de valeur, cette organisation travaille au plus proche des communautés dans le renforcement de leurs capacités et l’amélioration de leur production.

Parmi les différents programmes d’accompagnement des organisations de producteur-ice-s, on retiendra le Sustainable Share Initiative, qui encourage ses membres à porter des initiatives pour la production et l’approvisionnement d’amandes de bonne qualité. Également, l’Alliance Globale du Karité encadre les productrices de karité pour qu’elles puissent mieux gérer leur business. Cet organisme mène également des activités de plaidoyer pour faciliter le dialogue entre les associations nationales et les autorités.

Justine HUMBERT :

Tout d’abord en achetant plusieurs centaines de tonnes de beurre de Karité biologique et équitable directement à ces coopératives représentant des revenus pour plus de 10 000 femmes et en le payant à un prix juste basé sur les coûts de production et rémunérant dignement l’ensemble des acteurs de la chaîne. Mais aussi par un accompagnement quotidien de trois personnes dédiées.

En 2018, nous avons lancé le programme RESIST, un programme à 2 millions de dollars financé par L’OCCITANE mais aussi par des bailleurs publics comme USAID notamment grâce à la Global Shea Alliance et SEQUA[1].

Ce programme mené par notre équipe locale et l’ONG NITIDAE est basé sur 3 piliers :

  • La protection de la ressource au sein des parcs à Karité,
  • Le développement d’un procédé basé sur la méthode traditionnelle mais mécanisé et qui n’utilise pas de bois et valorise 100% des résidus,
  • L’autonomie des femmes en renforçant leur gouvernance et en diversifiant leurs clients sur le Karité (La Global Shea Alliance a notamment accompagné le programme sur ce point) et leurs revenus.

Pendant la pandémie du COVID-19 et avec l’application des restrictions gouvernementales, nous avons stoppé toute activité nécessitant des regroupements et reporté à l’automne prochain une partie des livraisons, tout en assurant la trésorerie des productrices par le biais d’un préfinancement de 80% de la commande.

Nous avons aussi grâce à des financements SEQUA, menés un projet auprès des femmes productrices de beurre de Karité s’articulant autour de :

  • La sensibilisation sur les gestes barrières : Campagne d’affichage, diffusion de spots radios locaux…
  • La distribution de matériel de protection :
    • Savons (fabriqués par les coopératives pour diversifier leurs revenus) et de masques en tissus (fabriqués localement selon les recommandations du gouvernement burkinabè) pour 8 500 femmes, mais aussi à destination des centres de santé de leurs communes.
    • Installation de lave-mains dans les centres de production de karité et dans les centres de santé communaux.

[1] SEQUA : financé par le gouvernement fédéral allemand, ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement (BMZ), via sequa dans le cadre du programme develoPPP.de.

Comment le commerce équitable peut-il être un levier d’action face aux différents enjeux de la filière et aux enjeux de la transition écologique et sociale ?

Urbain GBEOU : Aujourd’hui, le commerce équitable répond en partie aux préoccupations des consommateurs finaux, qui sont de plus en plus exigeants quant à la qualité des produits. Ainsi, pour accéder aux marchés bio et équitables, les entreprises doivent se conformer à un certain nombre de règles qui auront un impact sur les conditions de production, de rémunération et d’exploitation de la ressource.

Justine HUMBERT : Le commerce équitable est un levier important pour une meilleure intégration des populations vulnérables à l’économie mais aussi un outil structurant pour la sécurisation des approvisionnements. Les contrats pluriannuels avec un minimum de volumes apportent de la sérénité aux producteur.ice.s. Les préfinancements apportent la trésorerie nécessaire pendant la récolte. Enfin, l’établissement de prix juste leur permet de vivre dignement et, couplé avec la prime de développement, leur permet d’investir dans cette transition nécessaire vers un Karité régénératif et inclusif.